Nouvelle rentrée 2019

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Et voilà, deux semaines viennent de passer pour cette nouvelle année scolaire.

J’ai toujours des CE1, je connais bien l’école, les collègues, des affinités se sont créées, la rentrée est donc moins éprouvante.

Cette année, étant en réseau d’éducation prioritaire, ma classe se trouve dédoublée. Sur le papier cela signifie entre 12 et 14 élèves dans ma classe. Dans les faits, c’est plutôt 26 mais en co-animation avec une autre prof. Concrètement, depuis le premier jour de rentrée, je suis à 100% du temps avec une collègue. J’ai beaucoup de chance, on partage la même vision de l’éducation, on travaille très bien ensemble, sa voix est agréable, elle est douce, gentille avec les enfants, et belle, donc c’est que du bonheur haha. Concrètement, ça nous permet de dégager du temps pour aider des élèves dans le besoin, avoir une gestion de classe plus efficace, de réfléchir à deux sur certaines problématiques, on peut faire les rdv parents à deux, on prend vraiment le meilleur de nous deux pour n’obtenir que le meilleur. Comme moi, elle ne compte pas ses heures et vit un peu que pour son métier. Donc on s’entend bien, à voir sur la durée, mais pour le moment c’est vraiment top.

Sur les 26 élèves, j’ai une élève E., une petite fille roumaine qui vit dans une tente au milieu de la ville. Elle parle très peu français, n’a jamais écrit de sa vie, ne sait pas compter, et je dois me débrouiller avec ça.

J’ai aussi A., un élève tunisien ou algérien je ne sais pas trop, qui pareil n’a jamais écrit en cursif de sa vie, quand il écrit il « photocopie » le texte, il le reproduit à l’identique, c’est donc assez compliqué. Aujourd’hui j’ai du le punir en lui expliquant qu’on ne pouvait pas mettre une claque à un camarade quand on n’était pas d’accord avec lui. Va y avoir du boulot.

A. est une élève mutique depuis la petite section de maternelle, depuis presque 4 ans donc. Un traumatisme, je n’ai pas réussi à lui faire décrocher un mot. Son niveau scolaire est très faible, car forcément elle ne lit pas, je ne sais pas si elle sait lire les chiffres/nombres, je ne sais même pas si elle comprend ce que je lui dis. Chez elle elle parle sans aucun soucis, j’ai écouté des enregistrements audio avec sa mère. Mon objectif cette année est d’arriver à gagner sa confiance pour la faire parler… Je tâtonne, je n’ai aucune formation pour ce genre d’élève, je ne suis pas psy, j’ai l’année pour y parvenir. Mais toutes ses maitresses précédentes n’ont pas réussi. Je dois donc faire preuve d’une extrême gentillesse avec elle, car elle souffre finalement d’une extrême sensibilité pour se refermer comme cela. Dur comme objectif.

B. est une élève extrêmement triste, limite maltraitée. Hier elle a attendu toute la journée 16h car elle allait faire du poney. J’étais trop content pour elle, sa mère me met un mot pour me dire qu’elle ne reste pas au périscolaire car elle a poney, et à 16h personne n’est venu la chercher… La petite était limite en pleurs. J’ai essayé d’appeler sa mère, j’ai laissé un message sur son répondeur, mais rien… À 17h, toujours personne… Sa mère est venue à 18h, elle avait oublié sa fille… Pas de poney…

Le reste des profils de ma classe est plutôt classique : les élèves qui ont sauté des classes et qui s’ennuient en classe, ceux qui n’ont aucun cadre à la maison et où je dois faire tout le boulot d’éducation, les élèves trop extravertis, les élèves trop timides…

Je dirais qu’en terme de niveau, j’oscille entre la moyenne section et le CE2, ce qui fait une marge de manoeuvre de 5 ans. Donc tous mes exercices sont adaptés pour ces différents profils, avec une passation de consigne différente, une correction différente… C’est comme un grand puzzle, mais où les pièces ne s’emboitent jamais vraiment.

Cette semaine a représenté environ 60h de travail, semaine plutôt classique donc. La journée commence vers 8h, 30 minutes de pause repas le midi, partir de l’école à 18h, continuer à bosser jusqu’à environ 21h. Sans pause au sein de la journée à l’école.

Devant l’étendue de la tâche, je ne me prends pas la tête : je bosse bien, j’adapte le travail, mais je n’oublie jamais que j’ai des enfants en face. Je garde donc toujours le sourire, je les écoute, je les aide, je les conseille. Le midi au retour de la cantine, on prend 10 minutes pour danser avec la musique dans la classe, les élèves peuvent jouer du synthé s’ils ont bien travaillé, se reposer au fond de la classe ou faire des activités manuelles en cas de saturation ou de bon comportement. Je fais très attention que chaque élève soit content de venir en classe. Les élèves n’ont pas le choix, je ne veux pas qu’ils souffrent du système éducatif.

Le système éducatif actuel est vraiment à revoir. On leur en demande beaucoup, ils n’ont pas vraiment de place pour s’exprimer, on ne les fait pas participer à la vie de l’école, on les considère comme des « enfants » et non pas des « adultes en devenir », des « individus » à part entière. On continue à faire des classes d’âge plutôt que de besoin. Je me questionne beaucoup depuis quelques temps sur la façon de faire une meilleure école. Je fais mon maximum avec cette optique en tête dans ma classe : on fait des conseils, je ne me considère pas comme un supérieur par rapport à eux, mais plus comme un guide. On demande des choses à ces enfants de 7 ans, qu’ils font parce qu’ils sont enfants justement, mais qu’un adulte ne ferait pas. Les enfants sont épuisés, j’ai souvent l’impression de les embêter, et je me demande même dans quel but je fais tout cela ? Est-ce que ça fera d’eux des meilleurs adultes ? Plus cultivés ? Plus intelligents ? Des meilleurs citoyens ? Je ne suis pas sûr. Dans notre monde actuel, de plus en plus automatisé, est-ce vraiment nécessaire ? Ne pourrait-on pas mettre la priorité sur le bien-être de ces individus ? Pourquoi un enfant qui ne veut pas travailler, devrait-on le forcer à travailler ? Pour qu’il apprenne ? Mais qu’est-ce qu’il va retenir s’il n’a pas envie d’apprendre ? Un enfant ne veut jamais rien faire, s’il ne veut pas travailler, qu’il aille prendre l’air, qu’il aille s’exprimer de manière artistique, créative, ou qu’il fabrique des choses, je ne sais pas.

J’ai bien conscience que ces dernières phrases peuvent choquer beaucoup de monde extérieur à ce monde, mais je trouve qu’on ne met pas du tout la priorité sur l’humain. Combien d’adultes n’ont pas aimé l’école ? Moi le premier. Combien d’adultes ne savent pas ce qu’ils aiment ? Combien d’adultes ne sont pas heureux ? Combien d’anti-depresseurs sont vendus en France ?

Il y a des élèves scolaires, des élèves qui veulent manger des exercices par tonne, qui veulent apprendre un maximum de choses. Nourrissons ces élèves-là, et cherchons des meilleures alternatives pour les autres. Mais l’école publique n’est pas prête à cela. Tout le monde dans le même moule, et si ça ne rentre pas, forçons.

 

Je me questionne sur beaucoup de choses en ce moment, dans mon travail, dans ma vie personnelle, dans mon développement personnel. J’aurais sûrement l’occasion de revenir sur tout cela. D’ici là, bonne rentrée à tou.te.s !

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5 comments

  1. Bonne rentrée et bon courage, d’après LCI et les libéraux, tu gagnes quand même presque 4000 € / mois LOL

  2. Merci à vous !
    J’aimerais bien que LCI devienne un syndicat, ils ont l’air d’avoir toutes les solutions aux problèmes du monde !
    BFM récemment a sorti une connerie équivalente aussi.

    N’empêche, ça veut quand même bien dire qu’on ne peut absolument pas faire confiance aux médias, et que plus leur connerie est grosse, plus ça passe.

    Déjà que les profs sont pas bien aimés, mais avec des conneries pareilles dans la tête des gens ce n’est pas prêt de changer !

  3. > « Je dirais qu’en terme de niveau, j’oscille entre la moyenne section et le CE2, ce qui fait une marge de manoeuvre de 5 ans. »

    J’ai sorti un « Waaaaah » spontané.

    Pour revenir sur ce que tu décris de la façon dont tu gère tes journées, et tes réflexions sur l’éducation scolaire, je trouve que tu as l’air de bien appréhender les choses. Proposer des activités différentes pour ceux qui veulent se changer les idées ou en récompense me semble une très bonne chose.

    Et je ne sais pas si c’est faisable dans ton école, mais créer un potager avec les enfants est une activité qui peut t’aider, et leur apprendre beaucoup.
    Entre la patience et la compréhension de toute la vie d’un potager, aisni que la cohésion et le partage entre eux.
    Quand j’étais en primaire, on faisait un potager où chaque classe avait une parcelle à gérer et on ramenait à la maison quelques légumes en fin d’année. J’en ai encore le souvenir et je trouvais ça génial.

    En tout cas, bon courage à toi pour cette nouvelle année.
    Et envoie chier les imbéciles qui se font bourrer le crâne. Ils ne seraient pas capable du quart de ce que tu fais. Tu fais l’un des métiers qui demande énormément et mériterait bien plus de reconnaissance.
    Et pour répondre à ton poste sur les salaires, perso j’estime qu’un salaire en dessous de 2k net est sous-payé, ce qui est malheureusement le cas pour beaucoup (dont moi ;) )

  4. Le salaire médian français en 2018 = 1710 € net / mois.
    En dessous, tu es mal payé. Point.

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