Cela fait bien longtemps que je n’ai pas fait d’article à propos de mon boulot !
Il faut dire que certains m’avaient bien refroidis, je passais une année de merde, donc je me suis dis que j’allais me faire oublier un petit peu. Sans compter le passage Boulanger, qui m’avait donné une visibilité un peu trop grande à mon goût.
Bref, trop de choses qui m’ont fait arrêter de parler du boulot.
J’ai eu le temps de réfléchir à tout cela également, et j’ai décidé de continuer de parler du boulot. Déjà, j’aime ça, ça me permet de réfléchir parfois sur ma pratique, de prendre du recul. Aussi, je sais que ça vous intéressera.
Récap de l’année dernière
L’année dernière, j’étais ce que j’appelais si poétiquement un « bouche-trou ». Sous prétexte de mon manque d’expérience, on m’a collé avec 4 classes différentes, donc 4 collègues différentes. Chacune avec ses méthodes, ses attentes. Ça s’est très bien passé avec deux collègues, c’était très compliqué avec les deux autres. Je vais passer les détails, mais j’étais très très heureux quand l’année s’est terminée. Également, avec mon manque d’expérience, on m’a collé dans des écoles bien difficiles, dites « REP+ ». L’avantage, c’est qu’au moins j’ai gagné des points supplémentaires sur mon barème. Ces points m’ont permis de retrouver l’école où j’étais stagiaire, où tout c’était très bien passé. En plus, j’avais ce que je voulais : ma classe.
Ma classe
Joie, enivrance, j’avais ma classe ! Plus de comptes à rendre à personne, plus besoin de s’adapter à une collègue, le délire !
Ma classe !! Seul maître (huhu) à bord, je me retrouve à devoir tout gérer.
Le boulot de malade
J’ai eu la chance de bien pouvoir profiter de mon été, loin des futurs soucis.
Mais la rentrée des classes est arrivée bien vite.
Si je devais résumer cette rentrée en un mot : tsunami.
On se retrouve avec une déferlante de trucs à gérer dans tous les sens. Cela commence avec le déménagement de sa classe du 1er étage au RdC parce que j’ai un élève handicapé. On devient manutentionnaire, on fait ses cartons de déménagement, on déplace tout, sur son temps de vacances (bon ok j’ai pas trop à me plaindre, mais dans le principe c’est assez fou quand même).
On organise sa classe comme on le veut, pour que tout soit prêt le jour J. Il m’a fallu 2 journées entières pour tout déménager et réinstaller, avec le mal de dos en bonus. On achète ses meubles à Ikea parce qu’on manque de mobilier. On avance les frais, on se fera rembourser plus tard. Budget pour l’année pour une classe : 50€. Meuble : 80€. Bon, on le paie, c’est pas grave, on en a besoin de toute manière.
Je voudrais revenir sur ces 50€. J’ai deux sortes de crédits : des crédits pour acheter du petit matériel scolaire chez un fournisseur attitré : environ 150€ pour l’année pour ma classe de 25. Cela fait donc 6€ par gamin pour acheter les cahiers (leçons de français, leçons de maths, du jour, d’essai, de sciences, de langue, de poésie, d’écriture…), les feuilles papiers A4/A3 pour la photocopieuse et plastiques pour plastifier, si je veux de la peinture et matériel divers pour l’art visuel, des stylos si je veux que les gamins n’écrivent pas avec le stylo tout pourri publicitaire du coin, surtout en CE1 quand ils apprennent à écrire, etc. Ça fait pas lourd, pas lourd du tout.
J’ai donc un autre crédit, pour tout ce qui ne sera pas « donné » aux enfants : 50€ à l’année. 50€ pour acheter : une pendule, un balai, une corbeille à papier, des manuels scolaires, des fichiers (sorte de gros cahier/livre où l’enfant écrit dedans), financer les sorties (entrées + transport), les feutres effaçables pour le tableau, mobilier… À 15 jours de la rentrée il ne me reste plus que 10€, j’ai acheté une collection de 5 feutres pour le tableau et 4 tampons « félicitations » etc ce genre de choses. Donc mes élèves n’auront ni livre, ni fichier. Pour la pendule/balai/corbeille j’ai payé de ma poche. Les sorties je demanderai de l’argent aux familles et on ira à pieds.
Il y a un gros problème de financement à l’école publique. Sur ma paie d’environ 1750€ net, une bonne partie part régulièrement dans la classe. Sur du matériel dont j’ai besoin de manière directe, comme les feuilles pour la photocopieuse ou le mobilier, mais aussi de manière indirecte : l’ordinateur pour préparer ses cours, la photocopieuse de PME laser couleur recto/verso à la maison ainsi que ses consommables, la pièce de l’appartement qui fait office de bureau (loyer + impôts + chauffage), le bureau de ministre dont j’ai forcément besoin, un siège de qualité si je ne veux pas me péter le dos, les divers livres qui vont de l’album de jeunesse pour l’utiliser en appuie en classe, au livre du maître bien cher (certains montent jusqu’à 50€) dont on a absolument besoin si on veut gagner de nombreuses heures de préparation, etc…
Ma paie net moins tous les frais du travail divisé par le nombre d’heures que je fais égale à bien moins que le taux horaire du SMIC.
En Allemagne (c’est pas bien loin pourtant !), ils sont payés le double de nous.
Il parait qu’on fait ce travail par « vocation ». Oui, on le fait par passion, clairement pas pour l’argent, mais quand même, ça fait râler. Sans compter les impôts qui me réclament un mois de salaire (m’enfin, ça c’est à peu près chez tout le monde !).
Revenons au tsunami de travail.
Je pense (j’espère !) que c’est parce que c’est la rentrée et que c’est la première fois que j’affronte cette montagne, mais la vache elle est haute.
J’ai du revoir mon organisation, installer des applications pour gagner en productivité comme Wunderlist qui m’a sauvé plus d’une fois. Énormément de choses à penser et à ne pas oublier. Il faut voir les parents qui nous expliquent le problème de leur enfant.
Signer des PAI pour les enfants malades ou allergiques. Apprendre à se servir de la seringue en cas de grosse réaction allergique de l’enfant. Ne pas l’oublier quand on va à la piscine, ma responsabilité est en jeu. Gérer le gamin qui est diabétique, connaitre ses taux de sucre pour lui faire l’injection qui va bien. Remplir les dossiers pour les enfants handicapés ou avec des troubles (dys machin). Espérer qu’ils soient pris en structure adaptée, en attendant gérer les crises au fond de la classe. Expliquer au papa que son fils n’est pas « débile » mais qu’une classe adaptée lui conviendrait beaucoup mieux avec toutes les pincettes qui s’imposent. Arriver à gérer ses cours en même temps, à faire les corrections, à gérer les plannings de piscine, du stade, de la salle de lutte. Planning des services de surveillance de récrées. Planning pour le projecteur. Planning partout. Faire APC (aide supplémentaire pour les élèves en difficultés), non payé, sur sa pause de midi. Faire de l’aide aux devoirs. Les rares midis de libres restants, on a des réunions obligatoires, toujours non payées (pas comme au collège ou lycée…). Manger en réunion. Ne pas pouvoir aller aux toilettes de 8h30 à 12h30 puisque toujours en responsabilité de surveillance. Faire pipi en 30 secondes à 13h49 avant de reprendre à 50. Partir de l’école à plus de 18h après avoir fait à peu près tout ce que je devais faire. Bosser chez soi pour la journée du lendemain, finir à 21h, faire à manger, 22h tomber de sommeil. Rêver de l’école la nuit. 6h30 réveil et on recommence pour être à l’école à 7h30 pour préparer.
La vie sociale
J’ai la chance d’avoir une copine également prof des écoles. Donc on bosse pareil, on se comprend. Mais je n’ose pas imaginer le pétage de câble du compagnon. Fini les soirées télé, bosser quasiment H24, être toujours 100% occupé au travail (c’est presque ça le plus dur), pas pouvoir répondre à un simple texto. Pas pouvoir s’assoir 2 min pour souffler. Il faut un partenaire vraiment compréhensif et pas jaloux. Un boulot de célibataire.
Ha oui, et évidemment les WE on les passe à bosser : faut préparer les leçons pour la semaine, lire le manuel du maître de 300 pages qu’on a absolument pas le temps la semaine. Oublier de faire ses courses, pas avoir le temps de faire son ménage. Se demander depuis combien de temps on n’a pas fait l’amour, se dire qu’on sait même plus ce que c’est.
Je dresse un tableau un peu noir, mais j’adore ce que je fais, et je ne changerai pour rien au monde de métier. Mais purée, c’est dur. J’ai senti un gap violent quand j’ai commencé en temps que stagiaire. Mon année avec 4 classes a été encore plus dure. Cette année l’est encore plus. Heureusement qu’il s’agit de MA classe, avec MES règles, sinon ça serait très dur psychologiquement.
C’est un boulot passionnant, mais les sacrifices sont énormes.
Manutentionnaire, infirmier, psychologue, assistant social, tous synonymes de professeur des écoles ?
Ce soir, réunion parents profs, je vais devoir assurer !
Moi je trouve ça normal, ça fait parti des fonctions de prof. De même qu’avec les autres boulots où on doit nettoyer, faire de la paperasse en même temps que produire, faire des heures supplémentaires, faire des portes ouvertes, etc. Et encore, on n’a pas 12 semaines de vacances (fallait que je la sorte celle là haha).
Toutes les entreprises ne sont pas Nestlé et on fait presque tous des trucs qu’on ne devrait pas faire avec les moyens disponibles. Et c’est d’autant plus vrai quand t’as un poste à responsabilité où on est payé au forfait, donc pas à l’heure. Sinon reste la solution d’aller bosser à l’étranger.
Oui, c’est normal, personne d’autre que nous peut le faire. Encore que, psychologue et assistant social, c’est quand même un autre métier.
Ce que je ne trouve pas normal, c’est de ne pas avoir 5 minutes de pause pendant 4 heures avec des gamins en responsabilité. Une bêtise et on est responsable. Là ça va, je gère, mais quand j’aurais 60 ans ça va se passer comment ? Pouvoir aller aux toilettes, c’est quand même la base il me semble.
Après les postes à responsabilité (donc cadre, donc bac+5), t’es payé en conséquence, on te fournit ton matériel professionnel, etc.
Après voilà, je l’ai dit, j’adore mon métier, je ne le fais pas pour l’argent, comme la plupart des profs, mais je trouve que l’État français en joue un peu trop.
Ça reste, quoi qu’on en pense, malgré les vacances, un des métiers qui conduit le plus au burnout.
Article intéressant, qui sépare clairement le 1er degré avec le 2ème : http://blog.francetvinfo.fr/l-instit-humeurs/2017/01/15/enseignant-un-metier-solitaire-davantage-expose-aux-risques-psychosociaux.html. À lire.
Diantre, effectivement ça fait beaucoup…
Un prof de lycée nous avait fait faire un rapide calcul à ce sujet : c’était un prof de SVT, et au lycée, les copies de devoir de SVT, c’est énormément textuel (pas comme en math ou physique, où on regarde avant tout le résultat).
Généralement chaque élève produit environ une copie double (4 pages).
Le calcul était le suivant : à raison de seulement 20 minutes par élève, pour une classe de 30 élèves (notre classe), il fallait calculer le temps pour corriger les copies. Le résultat : 30 × 20 minutes = 10 heures.
Pour une seule classe…
En gros, pour un devoir de 2 heures d’une classe, il faut prévoir 1 week-end de travail pour le corriger. Sachant qu’un prof d’une matière a 2 à 3 classes, si ce n’est d’avantage, tu as facilement 2 ou 3 week-end tous les mois qui sautent.
Depuis ce jour, j’entrevois la masse de travail, et on comprend un peu mieux le délais entre le devoir et la note.
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Comme dis Lokoyote : c’est une masse de travail qui fait clairement partie du travail de prof, oui.
De là à n’être payé que 1700 €… c’est abusément bas.
Même en Hollande, un prof à mi-temps gagne plus que ça (quand j’y étais, j’avais regardé pour un post de prof de français (une langue étrangère, là-bas) au collège-lycée : 3 200 € (brut) pour un débutant).
Mais la France (j’imagine que c’est pas le seul pays, faut pas pousser) est reconnu pour les salaires très bas dans l’éducation.
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Sinon, et je te le souhaite : je pense que la montagne est haute parce que c’est ta première année « seul ».
L’année prochaine t’auras déjà une vie d’ensemble de ce qu’il faut faire et tu pourras te préparer au tsunami. Ça ira de mieux en mieux au fil des années :).
La charge de taf restera identique, mais ta façon de gérer tout ça s’améliorera.
Courage en tout cas !
Merci de ton message, ça fait chaud au coeur :)
Ça peut donner l’impression que je suis au bout de ma vie mais pas du tout, j’affronte et je gère comme un vrai professionnel (lol). Le fait d’avoir ma propre classe joue pour beaucoup.
Je pense aussi c’est parce que je « débute », j’ai tout à faire, et que ça s’arrangera par la suite. En tout cas vous aurez des retours !
Passer mes WE à corriger, ça me déprimerait au plus haut point.
Heureusement que prof reste un métier passionnant, y’aurait pas grand monde qui le ferait sinon.
Et je me considère comme chanceux, en couple avec une prof, on profite ensemble des vacances. Pas d’enfants, pas de contraintes… Le prof en couple avec un salarié avec des enfants, ses vacances se résument à garder les enfants j’imagine…
Président de la république, ça me parait aussi être un métier par vocation, ce n’est pas pour ça qu’il termine à payer de sa poche.
Merci en tout cas pour ces retours d’expérience, c’est toujours très intéressant à lire et même un peu stressant.
Pour ma part, je trouve tout de même qu’il y a un problème, surtout dans ton secteur. Que tu ne puisse même pas prendre quelques minutes pour aller aux toilettes, c’est aberrant.
Et il y a un facteur que beaucoup ont du mal à évaluer et accepter, c’est la charge mentale que subissent (s’affligent aussi) les enseignants (surtout en primaire).
Entre une classe de 20/30 élèves à gérer pendant et en dehors des cours + les parents + l’éducation nationale, il faut vraiment avoir un mental d’acier pour encaisser tout ça.